Brûler, brûler, brûler (2020)

On ne quitte pas une femme qui s’habille en rouge

Übersetzung und Kommentar von Louisa Kern

« On ne quitte pas une femme qui s’habille en rouge ». Celui-ci est extrait du recueil de poésie « Brûler, Brûler, Brûler » publié en 2020 chez Iconoclaste. Dans ce recueil de 20 poèmes Lisette Lombé aborde des sujets d’actualité comme le racisme dans « Qui oubliera ? », l’homophobie dans « Mon fils est gay », la situation des femmes dans la société actuelle, dans « À plat ventre » ou « Brûler » ou encore le confinement et ses effets dans « On ne quitte pas une femme qui s’habille en rouge ». Elle va jusqu’à citer des personnalités connues comme Harvey Weinstein, Dominique Strauss-Kahn ou Roman Polanski, tous des hommes accusés de viols, dont on a beaucoup parlé aux informations ces dernières années.

« On ne quitte pas une femme qui s’habille en rouge », aborde les thèmes de la vieillesse, de la jalousie, de la séparation, de la nostalgie de la jeunesse et de la violence morale et physique. Il a été écrit en 2020, pendant la crise sanitaire du Covid-19. Lisette Lombé y mentionne le confinement comme grand changement dans la vie des individus, obligés de rester ensemble chez eux et de revenir aux bases d’une relation. Elle y parle également d’une société qui met en valeur la jeunesse des femmes et au sein de laquelle celles vieillissantes se sentent abandonnées.

On ne quitte pas une femme qui s’abille en rouge
Agrippée à son jerrycan de vinasse, elle tourne sur elle-même. Yeux fermés pour ne pas voir les autres, agrippées, elles aussi, à leur jerrycan de vinasse. Jeunes femmes, boutons roses, petites connes capables de s’enfiler2 des litres et des litres de gnôle3, de se tamponner la tronche, se perdre, perdre logique, perdre pudeur, perdre culotte, contrôle, toute réserve, toute, sans que la paupière ne s’affaisse, sans que l’oeil ne se vide, sans que la chair ne glisse dans les vomis de l’aube.


Elle tourne sur elle-même, robe rouge. Elle attend le renversement de perspectives, l’à-rebours impossible, le revenir sur ses pas. Fermer les yeux. Fermer le monde. Fermer tout ce qui peut être fermé. Portes. Fenêtres. Coeurs à prendre. Ta gueule. Barricade des sexes. Oublier la dernière rotation, la rotation de trop, rotation de la pauvre carcasse6 qui capitule sous le capuchon amidonné de la fin de course, de la boucle est bouclée, de la der des der, la rotation de trop, préménopause, carambolage, cul-de-sac.

Robe rouge, elle est paquet de questions.
Paquet.
Que deviennent les jeunes femmes qui dansaient en faisant le ménage ?
Que deviennent leurs espoirs ?
Que deviennent leurs ventres nus ?
Elle tourne sur elle-même. Ses genoux s’échauffent plus vite que sa poitrine ne s’essouffle.
Elle tourne pour défier ce qui s’accroche, ce qui nous nargue, ce qui tombe du ciel, ce qui mouille nos chemisettes et nous fait chanter faux.
D’habitude, il n’est pas là lorsqu’elle tourne sur elle-même.
A cause du confinement, depuis le confinement, il est là.
Distance sociale rejoint distance du couple.
Il est là mais il ne la regarde pas.
Allumer le four.
Il ne la regarde pas.
Attendre que le four soit brûlant.
Il ne la regarde pas.
Poser ses paumes dans le four.
Hurler.
Robe rouge au sol.
Bruit de pas précipités.

Forcing de la tendresse.

L’obliger à appeler les secours, à la sauver.
L’obliger à changer ses pansements, à la border.
L’obliger à nettoyer sa poitrine flasque.
L’obliger à nettoyer l’intérieur de ses cuisses flasques.

Caresses aux forceps.

L’obliger à la déshabiller avec mille précautions.
Lui parler, veiller à ce qu’elle ne manque de rien.
Veiller à ce que ses blessures cicatrisent bien.
L’obliger à revenir à son chevet8.
L’obliger à être là.
Être là.

Et oublier l’Autre.
Man verlässt keine Frau die sich in Rot kleidet
Geklammert an ihren Weinkanister, dreht sie sich um sich selbst. Augen zu, um die Anderen nicht zu sehen, geklammert, auch sie, an ihre Weinkanister. Junge Frauen, rosa Knöpfe, Idiotinnen, die in der Lage sind sich literweise Schnaps reinzuschütten, sich das Gesicht abzutupfen, sich selbst zu verlieren, die Logik zu verlieren, die Bescheidenheit zu verlieren, das Höschen zu verlieren, die Kontrolle, alle Zurückhaltung, alle, ohne dass das Augenlid herunterhängt, ohne dass sich das Auge entleert, ohne dass der Leib in das Erbrochene der Morgendämmerung rutscht.

Sie dreht sich um sich selbst, rotes Kleid. Sie wartet auf die Umkehrung der Perspektiven, die unmögliche Wende, die Rückkehr auf ihre Schritte. Augen schließen. Die Welt schließen. Alles schließen, was geschlossen werden kann. Türen. Fenster. Herzen zum Mitnehmen. Halt die Fresse. Barrikade der Geschlechter. Die letzte Umdrehung vergessen, die Umdrehung zuviel, Umdrehung des armen Kadavers, der unter der gestärkten Haube des Endes des Rennens kapituliert, die Schleife ist geschlossen, der Letzte der Letzten, die Umdrehung zuviel, Vorwechseljahre, Karambolage, Sackgasse.

Rotes Kleid, sie ist Packung von Fragen.
Packung.
Was wird aus den jungen Frauen, die früher beim Putzen getanzt haben?
Was wird aus ihren Hoffnungen?
Was wird aus ihren nackten Bäuchen?
Sie dreht sich um sich selbst. Ihre Knie erhitzen schneller als ihre Brust außer Atem kommt.
Sie dreht sich, um dem zu trotzen was sich anhaftet, was uns verhöhnt, was vom Himmel fällt, was unsere Blusen nass macht und uns falsch singen lässt.
Normalerweise ist er nicht da, wenn sie sich um sich selbst dreht.
Wegen des Lockdowns, seit dem Lockdown, ist er da.
Soziale Distanzierung trifft auf Distanzierung des Paares.
Er ist da aber er schaut sie nicht an.
Den Ofen anschalten.
Er schaut sie nicht an.
Warten bis der Ofen glühend heiß wird.
Er schaut sie nicht an.
Handflächen in den Ofen legen.
Schreien.
Rotes Kleid auf dem Boden.
Geräusch von eiligen Schritten.

Erzwingen der Zärtlichkeit.

Ihn zwingen Hilfe zu rufen, sie zu retten.
Ihn zwingen ihre Verbände zu wechseln, sie zuzudecken.
Ihn zwingen ihre schlaffe Brust zu reinigen.
Ihn zwingen die Innenseite ihrer schlaffen Oberschenkel zu reinigen.

Streicheln mit der Geburtszange.

Ihn zwingen sie mit tausend
Vorsichtsmaßnahmen auszuziehen.
Zu ihr sprechen, sicherstellen, dass es ihr an nichts fehlt.
Sicherstellen, dass ihre Wunden richtig heilen.
Ihn zwingen an ihr Krankenbett zurück zu kommen.
Ihn zwingen, da zu sein.
Da sein.

Und den Anderen vergessen.

Glossar

  • Vinasse : Mot familier désignant un mauvais vin.
  • S’enfiler : Dans ce contexte, le verbe s’enfiler est familier. Il signifie absorber une boisson ou un aliment, souvent rapidement, pour ne pas sentir le goût de celui-ci.
  • Gnôle : Mot familier originaire de Lyon, désignant une mauvaise eau-de-vie.
  • L’à-rebours : Adverbe signifiant faire quelque chose de la mauvaise manière, aller dans la direction inverse ou à l’opposé de quelque chose.
  • Coeur à prendre : Avoir un « coeur à prendre » signifie ne pas être dans une relation amoureuse mais être prêt rencontrer quelqu’un qui « prendra » notre coeur.
  • Carcasse : En littérature, la carcasse est la charpente osseuse d’un animal, son squelette. Ici, le mot est utilisé dans un contexte familier pour désigner le corps humain fatigué et mourant qui est difficile à déplacer.
  • La der des der : Raccourci de l’expression « le dernier des derniers ». C’est le tout dernier, le dernier de tous.
  • Chevet : Le « chevet » est l’extrémité du lit où se trouve la tête, souvent un panneau vertical qui en constitue la limite. Le mot « chevet » est souvent utilisé dans l’expression « être au chevet d’un malade », c’est-à-dire rester auprès d’une personne malade et la soigner alors qu’elle ne sort pas du lit.