Brûler, brûler, brûler (2020)

Kommentar von On ne quitte pas une femme qui s’habille en rouge

Introduction

Dans ce poème de 45 vers, nous suivons les pensées et les actions d’une femme perdue dans sa condition de femme vieillissante et délaissée.

Au début du poème, elle danse, tourne sur elle-même et boit de l’alcool. Au premier abord, elle emble être libre de toutes pensées mais celles-ci la rattrapent lorsqu’elle commence à prendreconscience que d’autres femmes, des « jeunes femmes » (V. 2) sont autour d’elle, ou du moins sont présentes dans son imagination. On comprend qu’elle est sûrement une femme qui commence à vieillir et qui jalouse celles qui sont encore jeunes. Elle préfère fermer les yeux pour ne pas risquer de les voir, pour oublier que son corps à elle n’est plus le même qu’avant,pour oublier que le moment fatidique de la cinquantaine et donc de la ménopause arrive bientôt et avec celui-ci, le changement du corps, la perte de la fécondité et par conséquent, d’une idée de la féminité.

On lui découvre plus tard un mari, un compagnon, qui est là sans être vraiment là, ne la regardant pas ou plus, peut-être prêt à la quitter. Il est obligé de rester chez eux car le confinement l’empêche de travailler à l’extérieur. La femme souhaite retrouver de la tendresse, de l’intérêt et va jusqu’à mettre ses mains dans le four pour se faire du mal et susciter son attention. Cette action va le forcer à prendre soin d’elle, elle va le manipuler, le contraindre à la toucher, la border, à « être là » (V. 44), à rester.

Comment ce poème décrit il les sentiments de désespoir d’une femme qui atteint un âge de changement mental et corporel ?

Dans une première partie, nous étudierons la représentation de la femme et de la féminité dans le poème en se concentrant sur la description des « jeunes femmes » (V. 2) dans la premièrestrophe puis de la vieillesse dans les deux strophes suivantes. Dans une deuxième partie, nous analyseront la présence oppressante de l’homme dans le domicile conjugal qui accentue la solitude de la femme, le malaise du couple, ce qui l’amène à se faire du mal et de ce fait, oblige l’homme à prendre soin d’elle.

1. La féminité

a. Qui sont les « jeunes femmes » ?

Dès le premier mot du poème, on ressent une atmosphère pesante. L’utilisation du verbe « agrippée » (V.1) annonce déjà le manque ressenti par la femme, ici d’alcool. Il introduit néanmoins d’autres manques comme celui de la jeunesse, de la beauté et de l’amour, présents plus tardivement dans le poème.

Elle saisit de manière désespérée son « jerrycan de vinasse » (V.1). L’alcool qu’elle boit devient presque une nécessité pour elle, lui permettant de se sentir vivante : grâce à celui-ci, elle tourne sur elle-même, elle ose danser. Elle essaie de prendre du plaisir à danser mais est obligée de fermer les yeux « pour ne pas voir les autres » (V. 1 et 2). Le lecteur ne sait pas qui sont ces autres, il n’y a aucune indication de lieux ni de temps. Où se trouve cette femme ? Avec qui ?

Les autres femmes sont-elles vraiment présentes dans la pièce avec elle ?

Notre protagoniste va décrire ces autres comme des « jeunes femmes » (V. 2), qui, comme elle, se soûlent et dansent. Elles sont, elles aussi, « agrippées […] à leur jerrycan de vinasse » (V. 2). Cette répétition montre la ressemblance entre toutes ces femmes, notre protagoniste pouvant et voulant se fondre dans la masse, essayant au maximum de leur ressembler. Elles font toutes la même action, mais la narratrice en sort le corps fatigué alors que les autres restent fraîches et vivantes malgré les litres d’alcool ingurgités. Il est également possible que ces femmes ne représentent qu’un reflet d’elle-même plus jeune. Elles ne seraient pas présentes dans la pièce mais dans son imagination ; elle ne pourrait s’empêcher de se revoir elle-même, plus jeune, tournoyant et s’amusant sans arrières pensées et sans fatigue. Elle jalouse donc les femmes plus

La fin de cette strophe serait donc une description de ce qui a changé depuis qu’elle a vieilli : maintenant, elle a « la paupière [qui] s’affaisse, […] l’œil [qui] se vide, […] la chair [qui] glisse dans les vomis de l’aube. » (V. 5 et 6). Tout lui rappelle qu’elle change, qu’elle décline. Lisette Lombé essaie de marquer l’esprit du lecteur en utilisant un vocabulaire cru et aux antipodes de la description des femmes tournoyantes, joyeuses et saoûles qu’elle formule quelques vers plus tôt.

Dans cette première strophe, on voit que la femme est dans un état second, sûrement causé par une trop grande consommation d’alcool, et que ses sentiments et pensées l’envahissent. Elle se revoit dans sa jeunesse frivole, ayant presque honte et craignant ce qu’elle est en train de devenir : une femme vieillissante.

b. La peur de la vieillesse

Au début de la deuxième strophe, la femme fait mention d’une robe rouge qu’elle porte. La robe rouge est un symbole important d’attrait sexuel, de féminité et de vie. C’est une couleur qui attire l’attention et qui donne souvent confiance en soi. La femme essaie de se sentir jeune et belle, de se donner du courage et d’attirer le regard de son mari ou compagnon.

Dès le titre du poème « On ne quitte pas une femme qui s’habille en rouge », l’auteure évoque cette robe rouge. On s’attend donc à ce qu’elle joue un rôle important.

Le rouge est également la couleur du sang et évoque ici le cycle menstruel, qui s’arrête au moment de la ménopause, la robe rouge se retrouvant au sol lorsque la femme pose ses mains dans le four. Elle attend « l’à-rebours impossible » (V. 7), le retour à sa jeunesse qui n’arrivera jamais. Elle préfère oublier le monde qui l’entoure et les effets de l’âge. Elle va donc nous énumérer plusieurs expressions lui rappelant la fin d’une ère : « la dernière rotation, [la rotation de trop, (…] de la boucle est bouclée, de la der des der » (V. 10 et 11). Le paradoxe de ces paroles est visible : tandis qu’elle cherche à oublier cette fin, elle ne peut s’empêcher à chaque nouveau mot, après chaque virgule, de se rappeler qu’elle vieillit. Cette idée est omniprésente dans sa tête, elle est totalement obsédée par celle-ci. Ce qu’elle craint particulièrement est la ménopause, la perte de sa jeunesse et dans son idée, de sa féminité. Elle redoute le moment fatidique où elle ne sera peut-être plus considérée comme une femme désirable.

Par l’évocation de la « dernière rotation » (V. 10), on peut imaginer qu’elle parle du cycle menstruel. La « dernière rotation » (V. 10) représenterait de ce fait le dernier cycle menstruel avant la ménopause. Le cycle symbolise l’unité, la continuité ; le briser serait le début du chaos. Elle attend ce dernier cycle avec crainte car il briserait quelque chose en elle, l’harmonie qu’elle a avec son corps serait altérée. Les femmes perçoivent le cycle menstruel comme quelque chose de connu, dont elles ont l’habitude, c’est quelque chose qui fait partie d’elles. La fin du cycle menstruel est par conséquent un symbole de la fin d’une ère de jeunesse.

Dans la troisième strophe, la femme se pose un « paquet de questions » : « Que deviennent les jeunes femmes qui dansaient en faisant le ménage ? Que deviennent leurs espoirs ? Que deviennent leurs ventres nus ? » (V. 15 – 17). Le terme des « jeunes femmes » revient ici et on retrouve l’évocation indirecte d’elle-même plus jeune : qu’est-elle devenue ? Encore une fois, elle va parler de sa propre personne à la troisième personne du pluriel, comme si elle avait été un grand nombre de femmes différentes, ayant vécu plusieurs vies mais finissant toujours par arriver au même point : la cinquantaine et la ménopause. Elle semble émue, ayant trop changé : elle aimerait toujours danser en faisant le ménage et avoir espoir d’un futur meilleur. Elle sait maintenant qu’il est trop tard pour cela, ses espoirs ont disparus, son ventre nu a été recouvert.

À la fin de la troisième strophe, la femme continue à tourner mais cette fois pour « défier ce qui s’accroche » (V. 19), c’est-à-dire ce qui arrivera à toute femme : la vieillesse. Elle se console dans l’idée que toutes ces femmes aussi jeunes soient-elles au moment où elle écrit, finiront par décliner elles aussi et à se sentir aussi mal qu’elle.

2. L’homme

a. Même si le couple est rapproché physiquement, le malaise du couple n’en est que plus ressenti et va mener à la mutilation de la femme

La quatrième strophe commence par « D’habitude » (V. 21), on s’attend donc à ce que la situation soit autre qu’à l’habitude. Pour la première fois du poème, la femme introduit un personnage masculin, qu’elle définit comme « il » (V. 21). On comprend que c’est son mari ou son compagnon car il est présent au domicile conjugal. Sa présence lui est pesante, elle dit que c’est « à cause du confinement » (V. 22) qu’il est présent. L’utilisation de « à cause » (V. 22) montre bien qu’elle préfèrerait être seule, que sa présence obligée et non voulue induit un malaise. Lisette Lombé mentionne ici la crise sanitaire dans laquelle nous vivons encore actuellement et les répercussions qu’elle a sur la vie de ce couple. Elle va donc utiliser un fait d’actualité pour pouvoir mettre en avant le manque d’amour, d’intimité et de bienveillance entre ces deux personnes, qui à une époque, ont dû s’aimer. Tous les problèmes qui étaient tus avant le confinement sont obligés d’être explicités, parfois à l’oral mais ici de manière violente à travers la douleur infligée à elle-même par la femme.

Avant le confinement, l’homme n’étant que très peu présent, la femme ressentait moins le malaise dans le couple. Mais depuis qu’il est à la maison en permanence, elle éprouve plus le besoin de se sentir bordée, accompagnée. Sa présence lui rappelle à quel point elle est seule et met en évidence le risque d’être quittée. Elle semble être une femme qui ne travaille pas à l’extérieur, elle est sûrement une ménagère et a donc l’habitude d’être seule au domicile. Cela ne semble pas la déranger en temps normal, au contraire, c’est lorsqu’elle est seule qu’elle se sent libre : elle boit, tourne, danse. La présence de son mari ou compagnon qui met en évidence son indifférence à son égard et le risque de séparation, la rend malade et l’amène à se faire mal physiquement. Même si l’homme est présent physiquement, « il ne la regarde pas » (V. 24, 26 et 27). Elle va donc essayer d’attirer son regard : en tournant sur elle-même et en portant une robe rouge attirant l’attention. L’homme ne la regardant toujours pas, son dernier recours sera donc de se mutiler en posant ses mains dans le four.

On suit avec une certaine appréhension ses gestes qui sont énumérés comme une recette de cuisine : « Allumer le four. » (V. 25), « Attendre que le four soit brûlant. » (V. 27) et finalement « Poser ses paumes dans le four. Hurler. » (V. 29 et 30). On dirait presque qu’elle fait ces gestes de manière machinale, sans crainte, comme si elle les faisait tous les jours. Au début, on croit qu’elle va préparer à manger et c’est très soudainement qu’on comprend qu’elle va en réalité se mutiler. Ce changement d’ambiance inopiné va également changer la dynamique du couple l’homme va être obligé de prendre soin d’elle.

b. Le mari est obligé de changer d’attitude

L’ambiance du poème change brusquement lorsque la femme met ses mains dans le four. Pour la première fois du poème, un vers est aligné à droite, il marque ce changement soudain. Dans ce vers, « Forcing de la tendresse » (V. 33), on se trouve confronté à un paradoxe : comment forcer la tendresse qui devrait être naturelle ? Toute la fin du poème sera marquée par ces paradoxes : à chaque vers, Lisette Lombé utilise la répétition de « L’obliger » (V. 34, 35, 36, 37 et 39) suivi d’une action de tendresse comme « à la déshabiller avec mille précautions. » (V.39) ou encore « à changer ses pansements, à la border. » (V. 35). Petit à petit, elle l’amène à prendre soin d’elle, d’abord de ses blessures puis à faire preuve de tendresse en nettoyant ses parties intimes telles que « la poitrine » (V. 36) et « l’intérieur de ses cuisses » (V. 37) bien que celles-ci soient devenues « flasques » (V. 36 et 37).

On reconnait dans cette strophe l’évocation de la grossesse avec « l’intérieur de ses cuisses flasques » (V. 37) et en particulier « caresses aux forceps » (V. 38), ces derniers étant l’instrument médical utilisés pour attraper la tête et permettre de faciliter l’expulsion du bébé pendant un accouchement difficile. L’accouchement sera un évènement qu’elle ne vivra jamais ou plus. Elle essaie donc de vivre, ou de revivre, ce moment important et douloureux dans la vie d’une femme. Elle ramène sa douleur aux paumes à la douleur ressentie pendant l’accouchement, se mettant dans la situation d’une femme donnant la vie. À la fin de la strophe, la protagoniste va obliger son mari à « être là » (V. 44). Toute la solitude accumulée lors de ce confinement va essayer d’être comblée par cette blessure, bien plus profonde que seulement physique. C’est une blessure qu’elle ressent également dans tout son corps, une blessure morale. Bien sûr, elle veut que son compagnon soigne ses blessures aux mains mais elle souhaite qu’il comble le vide en elle, causé l’âge, la ménopause, le sentiment d’abandon.

La main représente notre capacité de prendre, de donner, de recevoir et d’exprimer. Elle nous permet de travailler, de se nourrir, etc. Le fait que la femme décide de se mutiler les mains n’est pas sans signification : elle décide délibérément de toucher à une partie du corps utile quotidiennement et sans laquelle il est difficile de vivre. Son compagnon devra donc tout faire à sa place.

Pour conclure, on peut voir que l’obligation est énoncée dès le titre du poème. « On ne quitte pas une femme qui s’habille en rouge » montre que la femme a réussi à assouvir sa volonté : elle a réussi à le contraindre à rester pour qu’il ne la quitte pas. Elle semblait craindre que son mari ou compagnon la quitte, cette action de mutilation va sans douter éviter ou reporter la séparation du couple.

Conclusion : « Et oublier l’Autre. », la dernière phrase marquante du poème

Le dernier vers du poème est « Et oublier l’Autre. » (V. 45). Cette fin poignante nous fait nous demander qui est cet autre ? Est-ce que le mari ou compagnon a une maîtresse plus jeune qui expliquerait la jalousie de la femme envers celles plus jeunes ? Est-ce plutôt sa vieillesse qu’elle veut oublier en se faisant aimer par son mari, comme il l’aimait lorsqu’ils étaient jeunes ? Est-ce elle-même jeune ? Qui est-ce que la femme veut oublier à tout prix ? L’Autre est une généralité, il n’est ni femme ni homme, il est écrit avec une majuscule. Je pense que cet Autre est l’annonce de sa vieillesse et sa solitude. Cette femme ne veut pas vieillir, elle fait tout pour l’oublier mais lorsqu’elle essaie, ses pensées ne cessent de revenir au vieillissement. Au moment où l’idée de se faire du mal apparait dans son cerveau, sa peur semble disparaitre, en tout cas, s’atténuer. Elle ne se fait pas du mal seulement pour avoir l’attention de son mari, elle le fait aussi pour oublier ses démons. Grâce à cette mutilation, elle a gagné du pouvoir sur lui : son mari revient vers elle et ne peut pas la quitter car elle se retrouve dépendante de lui. Une poétesse engagée au langage cru. Voilà comment je définirai Lisette Lombé. Cette description est d’autant plus visible dans « On ne quitte pas une femme qui s’habille en rouge», poème écrit en 2020. C’est un écrit qui choque, blesse, émeut. On perçoit ce que ressent cette femme : sa solitude, le manque d’amour, ses craintes de la vieillesse, de la ménopause, de l’abandon. On suit avec compassion et crainte ses pensées et ses actes qui la détruisent : sa manière de se rappeler inlassablement que les autres femmes sont plus jeunes et plus belles, qu’elle va bientôt arriver à l’âge fatal de la ménopause, qu’elle n’est plus désirable, qu’elle se sent délaissée. Bien qu’elle ait recours à la mutilation comme arme de pouvoir pour récupérer et garder son compagnon, elle est totalement dépendante. Militante féministe qui se bat pour l’émancipation des femmes, Lisette Lombé nous parle de ce pourquoi elle est engagée et nous fait entendre dans ce poème, les sentiments des femmes et leur besoin d’exprimer leurs émotions, leurs combats.